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Stéphane Olry « Un passé qui ne passe pas »

Jusqu’au mois de juin, la Revue éclair est en résidence à Sevran sur l’invitation du Théâtre de la Poudrerie. L’objectif ? Recueillir les témoignages des Sevranais pour la création d’un spectacle qui sera joué à domicile fin 2019. Le 18 janvier, Marisa Gnondaho dit Simon et Stéphane Olry, qui écrivent et mettent en scène le spectacle, ont organisé une première soirée de rencontre avec les habitants autour de la projection du film « Les enfants du blanc » de Sarah Bouyain. Rencontre avec Stéphane Orly.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la thématique de cette pièce ?

Nous nous intéressons à ce qu’on appelle « les mariages avec les blancs » ou « mariages noirs », c’est à dire les mariages contractés durant la période coloniale entre des colons blancs et des femmes africaines. En fait, ce n’étaient pas du tout des mariages mais des unions qui ont donné naissance à des enfants métis. La plupart du temps, ces enfants n’ont pas été reconnus par leur père colon. Bien sûr, il y a eu des exceptions, de vraies histoires d’amours et de vraies familles mixtes mais c’était assez rare. Ces unions temporaires entre un blanc et une noire étaient très communes, cela faisait partie des solutions qui étaient préconisées par l’administration coloniale pour que les hommes ne restent pas seuls ou ne soient pas tentés de recourir à la prostitution ce qui était mauvais d’un point de vue moral comme d’un point de vue médical.

Vous êtes vous mêmes concernés avec Marisa Gnondaho dit Simon ?

Oui, Marisa est issue de l’un de ces mariages entre un fonctionnaire colonial, Marc Simon, et une femme qu’il a rencontré à Ouidah au Dahomey, le Bénin actuel. Il a vécu 10 ans avec elle et lui a fait deux enfants qu’il n’a jamais reconnu. Après la période coloniale, il a écrit ses mémoires : Souvenirs de brousse. Quand les parents de Marisa – ses petits-enfants – se sont présentés chez lui, il les a reçu très aimablement mais il niait complètement. Il disait qu’il avait été très heureux à Ouidah mais qu’il n’y avait jamais eu d’union, qu’il ne comprenait pas de quoi on lui parlait. C’est une blessure très importante. Et par ailleurs, mon arrière grand-père était colon. Il avait acheté une île au Gabon. Je savais par les récits familiaux qu’il avait eu une compagne là-bas et qu’il avait eu des enfants avec elle. Dans ma famille, on a retrouvé des photos de cette très jeune femme nue. C’était la honte qui dominait, ce n’était pas bien pour la respectabilité de la famille et pour mon arrière grand-mère mais en même temps ça se savait et ça faisait parti du folklore colonial.

Pourquoi creuser ce sujet ?

Pour découvrir « l’autre côté ». Pour Marisa, savoir ce qu’il se disait chez les colons sur la famille laissée en Afrique et vice-versa, pour moi de savoir ce qu’il se disait dans une famille africaine issue d’un mariage avec un colon. Nous avons d’abord fait des enquêtes à l’intérieur de nos propres familles. Mais nous n’avions pas du tout envie d’en rester là, de rester tournés vers le passé, l’exploration de nos souvenirs familiaux et des cicatrices que ça a pu laisser. Ce qui nous intéresse c’est les résonances que ça a dans le monde contemporain. Comme Valérie Suner (directrice du Théâtre de la Poudrerie, ndlr) nous a proposé de créer une pièce sur le thème de la rencontre, nous lui avons soumis ce sujet qui nous paraissait particulièrement approprié. Même si la rencontre a été injuste, il y a forcément eu rencontre des corps puisqu’il y a eu des enfants. C’est sûr que si il n’y avait pas eu d’enfants, la question aurait peut-être été oubliée.

Pourquoi s’y intéresser aujourd’hui, un siècle après ?

C’est un passé qui ne passe pas. Ca fait un siècle, quatre générations. Les gens qui ont connu les protagonistes sont morts ou en train de mourir. De manière très curieuse ma mère qui avait 92 ans et qui a connu mon arrière grand-père est décédée il y a un mois et le père de Marisa qui avait 80 ans est mort il y a une semaine. C’est une conjonction assez brutale mais qui dit aussi l’urgence. Bientôt il n’y aura plus que des gens qui n’ont pas connu les intéressés. Si ça devait être oublié ça le serait. Mais il se trouve que ça ne l’est pas. La colère et l’incompréhension demeurent d’un côté et la culpabilité de l’autre.

C’est un sujet encore très tabou aujourd’hui...

On sent que c’est encore très tabou aujourd’hui notamment avec la publication d’ouvrages comme Sexe, race & colonies et la polémique que ça soulève. Il y a encore un couvercle sur la marmite qu’on se décide peu à peu à soulever. Ce sont des secrets de famille et il y a toujours une bonne raison pour les secrets. Dans ma famille par exemple c’est assez simple, personne n’avait envie de voir remettre en cause les transmissions du patrimoine et de voir la mémoire des arrières grands-parents entachés par cette histoire. Du côté africain, c’est le souvenir douloureux d’une violence qui a été subie et qniée, occultée ou arrangée parce qu’elle fait mal. Mais il y a moment où on ne s’arrange plus avec le passé colonial. Si les liens avaient été coupés avec ces pays, si cette histoire avait eu lieu avec des gens qu’on ne revoit jamais, ce serait facile à occulter. Mais nous sommes toujours en lien avec les anciennes colonies de par l’immigration, la francophonie, les intérêts économiques et donc ça revient toujours frapper à la porte.

Qui voulez-vous rencontrer à Sevran ?

Nous aimerions rencontrer des gens qui sont dans la même situation que nous : comme Marisa, métis descendants de femmes indigènes ou comme moi, descendants d’un colon qui aurait eu une union avec une femme africaine pendant la période coloniale. Notre champ d’étude est circonscrit à l’Afrique subsaharienne, les territoires de l’AOF et l’AEF. Nous avons aussi ouvert cette enquête en cherchant des experts sur Sevran et aux alentours, des gens qui peuvent répondre aux questions très précises que nous nous posons : un notaire, un avocat spécialiste du droit de la nationalité, un prêtre vaudou - dans la région dont est originaire l’arrière grand-mère de Marisa c’est une pratique très répandue -, des missionnaires, des centres de biologie médicale pratiquant la recherche d’ADN…

Pouvez-vous m’en dire plus sur le titre de la pièce « Les mariages avec les blancs / mariages noirs » ?

Le titre est problématique. Il soulève des questions, mais c’est justement ce qui nous intéresse. Quand j’ai proposé le titre « Mariage noirs », Marisa m’a dit : « Mais c’est un terme colonial, en Afrique personne n’utilise ce terme là. Nous disons les mariages coutumiers, dominos ou les mariages avec les blancs ». Donc en fait pour l’instant nous n’avons pas vraiment de titre. Mais ce n’est pas la seul question qui persiste. La question que l’on me pose le plus souvent c’est : « Pourquoi vous n’allez pas au Gabon voir vos cousins métis ? Pourquoi Marisa ne va pas rencontrer la famille de Marc Simon ? Peut-être que les descendants de Marc Simon seront plus ouverts qu’il ne l’a été. » Mais nous ne le faisons pas et c’est un choix. Ca parait évident, mais en fait ça n’a rien d’évident. Est-ce que les descendants de mon arrière grand-père Henri Jeanselme ont envie qu’on viennent les voir en leur disant « C’est formidable je suis l’arrière petit-fils du type qui a abandonnée votre mère ». Du côté de Marisa, elle a envoyé plusieurs signaux en direction de la famille Simon mais pour le moment personne n’a répondu positivement.

Savez-vous déjà à quoi va ressembler la future pièce ?

On sera deux sur scène : Marisa et moi. Notre idée c’est de faire participer le plus possible les spectateurs, leurs renvoyer les questions qu’on se pose et partager avec eux. Finalement, le spectacle sera coproduit par les gens chez qui nous irons. C’est déjà le cas mais ici nous poussons encore plus loin la dimension participative. Le spectacle évoluera au fil des représentations et des rencontres, avec toujours de nouvelles questions et de nouvelles réponses. Nous aimerions que ces rencontres nous éclairent sur la démarche à suivre : aller au Gabon ou pas ? Ensuite, nous ferons le récit de ce voyage ou de ce non-voyage pour un autre spectacle qui sera présenté sur scène. Pour l’instant c’est très buissonnant mais nous avons l’intention de le laisser tel quel et de nous laisser guider par nos rencontres.

C’est la deuxième fois que vous collaborez avec le Théâtre de la Poudrerie, pourquoi avoir accepté de réitérer l’expérience ?

D’abord parce que c’est très agréable de travailler avec le Théâtre de la Poudrerie et ce serait dommage de s’arrêter. De plus, le thème que proposait Valérie sur la rencontre m’intéressait beaucoup. Nous avons aussi envie d’expérimenter encore cet aspect participatif et c’est vraiment le bon endroit. Nous pouvons nous appuyer sur des gens qui ont beaucoup de savoir faire. C’est rare et précieux.


Trois autres équipes artistiques sont en résidence à Sevran jusqu’au mois de juin 2019 : la compagnie Pipo, le metteur en scène Nicolas Kerszenbaum et la compagnie Maurice et les autres. En savoir plus

Plus d’informations auprès du Théâtre de la Poudrerie : 01 41 52 45 30


 

Publié le 23 janvier 2019